Demain l'éco. Deux jeunes Arlésiens ont inventé un piège efficace qui tue près de 90% des moustiques dans un rayon de 60 mètres sans le moindre insecticide. Connectées, ces bornes collectent également des données pour mieux lutter contre l’invasion du moustique tigre, vecteur de maladies infectieuses.
L’un est économiste de formation, l’autre est ingénieur. Pierre Bellagambi et Simon Lillamand sont deux amis d’enfance qui ont fait de la lutte contre les moustiques une entreprise florissante. Quand on passe toutes ses vacances en Camargue, les piqûres de moustique, en effet, on connaît bien le problème. Mais c’est après la parution d’un article scientifique du Dr Brigitte Poulin, chef du département Écosystèmes de l'Institut de recherche de la Tour du Valat, à Arles, qu’ils sont interpellés par l’impact catastrophique sur l’environnement des méthodes courantes de lutte anti-moustique à grande échelle. Encore aujourd’hui, le Bti (Bacillus thuringiensis subsp. Israelensis) est le bactério-insecticide le plus utilisé en démoustication en Europe et dans le monde.
Lorsque le Bti a remplacé les insecticides chimiques il y a quarante ans, c'était un pas en avant pour l'environnement. Cependant, l'utilisation inconsidérée du Bti, en particulier dans les zones humides protégées qui n’étaient pas préalablement démoustiquées, est clairement un pas en arrière,
La relève la scientifique dans une revue bibliographique entreprise par une équipe de recherche internationale composée d'écologues, d'écotoxicologues, de microbiologistes et d'économistes de quatre institutions européennes constituant l'évaluation la plus actuelle et la plus complète de l'impact du Bti sur l’environnement. On y apprend que la réduction des moustiques et des moucherons non ciblés qui représentent des sources de nourriture importantes peut avoir des répercussions sur les oiseaux et les amphibiens. Bien que le Bti soit actuellement l'agent le plus sélectif et le moins toxique disponible en démoustication, les auteurs réclament un suivi de la persistance et des effets du Bti dans les écosystèmes ainsi qu'une évaluation socio-économique, réalisés par des organismes indépendants et sans conflits d'intérêts. En attendant cette évaluation, ils préconisent des méthodes alternatives de lutte contre les moustiques telles que les répulsifs, les prédateurs naturels ou les pièges à moustiques.
Connectée, la borne anti-moustique est aussi un outil de prévention anti-vectorielle Les deux jeunes Arlésiens comprennent qu’il est urgent de plancher sur une solution propre pour l’environnement d’autant que l’invasion du moustique tigre s’étend en France. Originaire d’Asie, ce diptère est arrivé dans l’hexagone dans le Sud-Est en 2004 a priori par bateau ou par avion, par l’intermédiaire du transport de marchandises où pouvaient se trouver des œufs. Très adaptable, il ne cesse de proliférer, au point qu’il est aujourd’hui présent sur 70% du territoire métropolitain. Un moustique à prendre bien plus au sérieux que celui qui provoque une simple gène car cet insecte peut aussi être vecteur de maladies infectieuses. En 2014, Simon Lillamand et Pierre Bellagambi créent Techno BAM (pour "Borne Anti-Moustiques"), qui se spécialise alors dans la conception d’une solution de démoustication écoresponsable. Deux ans plus tard, ils réussissent à développer un appareil de piégeage qu’il baptise Qista. Les bornes anti-moustique Qista urbaine peuvent être équipées d'un panneau solaire afin les rendre autonome au plan énergétique. Protégée par deux brevets, la technologie consiste à disperser du dioxyde de carbone recyclé pour imiter la respiration humaine, qui attire les moustiques femelles (les mâles ne piquent pas). Au même moment, elle diffuse un leurre olfactif pour simuler l’odeur corporelle, en fait de l’acide lactique. Le dispositif attire la femelle moustique qui, une fois à proximité, est aspirée dans une nasse dont elle ne peut sortir. Les moustiques mâles et les autres insectes, abeilles, papillons et autres coccinelles ne sont pas attirés par le piège et peuvent continuer à jouer leur rôle dans leur environnement. Le système Qista doublement breveté a remporté au CES 2018 de Las Vegas 2 Innovations Awards dans les catégories Smart Cities et Tech for a Better World Pour mettre au point leur borne anti moustique, les deux chefs d’entreprise travaillent en collaboration avec l’Institut de recherche de la Tour du Valat et le parc Régional de Camargue où ils vont expérimenter leur technologie. Très vite, ils obtiennent de bons résultats et les études révèlent que le nombre de piqûres a baissé de 88 % dans un rayon de 30 à 60 mètres. En un mois, la borne capture jusqu’à 7 800 moustiques de 12 espèces différentes par jour, ce qui fait baisser le cycle de reproduction de ces insectes qui pondent près de 200 œufs en 48 heures.
Il ne s’agit pas seulement d’un piège mais d’un outil de prévention anti-vectorielle. La borne offre également un véritable système de monitoring en temps réel grâce à des capteurs géolocalisés qui analysent le volume de moustiques capturés et les niveaux d’infestations actuels et ceux à venir. Ces données sont ensuite croisées avec les évolutions météorologiques et environnementales à proximité immédiate de chaque appareil. Les autorités compétentes, informées des niveaux d’infestation peuvent alors quantifier les populations de moustiques afin d’améliorer et d’anticiper leurs déplacements pour prioriser les actions à mettre en œuvre afin d’optimiser la capture.
"C’est sur la commune Le Sambuc que les premières bornes ont été installées en Camargue en 2016 et la nouvelle municipalité élue de Patrick de Carolis à Arles a renouvelé le contrat avec Qista", nous explique Pierre Raviole son adjoint en charge de l’agriculture, l’eau et les risques majeurs. Pierre Raviol, adjoint à la mairie d'Arles en charge de l'agriculture, l'eau et les risques majeurs près d' une borne Qista devant l'aire de jeux pour enfants à Sambuc où les premières bornes anti-moustique ont été expérimentées © Radio France - Annabelle Grelier
Sur la place du village ou près de l’école primaire les bornes jouent leur rôle pour la plus grande tranquillité des habitants. C’est donc tout naturellement que nous avons fait ce choix, d’abord parce que ce sont des enfants du pays mais en plus c’est la seule alternative efficace au Bit. Nous continuons d’en épandre mais beaucoup moins et de toute façon on ne peut pas en pulvériser au-dessus des villages. À terme nous souhaiterions ne plus utiliser du tout ce genre de produits.
Plus de 50 collectivités leur ont emboîté le pas et de nombreuses villes sont aujourd’hui équipées : La Garde, La Valette-du-Var, Le Pradet, Carpentras, Toulon, Talence, Chassieu, Mions, Marseille, Toulouse, Saint-Paul-lès-Dax, Ville du Port sur l’Île de la Réunion ou encore Hyères, qui n’a pas hésité à quadriller sa commune avec plus de 350 bornes en activité. D’autres études ont été menées, notamment en Côte d’Ivoire, et montrent que les machines y capturent abondement les moustiques-tigres. Qista a également déployé en octobre dernier 104 unités à Kaolack au Sénégal, après avoir remporté l'appel à projets "Solutions innovantes pour la ville durable en Afrique", organisé par la Direction générale du Trésor dans la perspective du sommet Afrique-France 2020. Les machines protègent les zones infestées par le paludisme, et sont monitorées conjointement par les équipes Qista et les services scientifiques Sénégalais. La société continue ses efforts pour se développer également dans la lutte antivectorielle dans d´autres pays africains, en Asie et aux États-Unis. En recrutement constant, l'usine de production Qista est installée à Senas dans les Bouches du Rhône et emploie aujourd'hui une trentaine de salariés Le déploiement des bornes anti-moustique Qista a franchi les frontières et la start up est très vite devenue une usine de production au développement rapide pour qui le réchauffement climatique est une réalité qui se traduit par des bons de commandes à l’export toujours plus nombreux. L’entreprise provençale installée à Senas, dans les Bouches-du-Rhône, emploie 30 salariés en 2021 contre 16 en 2019, ils seront 65 au moins d’ici 2022, projette Simon Lillamand.
Nous réalisons 20 % de l’activité à l’international. D’ici deux à quatre ans, 70 % de notre activité se fera à l’export. Nous avons réalisé 3,5 millions de chiffre d’affaires en 2020, contre 2 millions en 2019. Nous visons 35 millions dans 3 ans. Nous doublons notre croissance tous les ans grâce aux partenaires et investisseurs qui nous accompagnent. Qista a déjà ouvert son capital à Air liquide et TDH, structure d’investissement de Thierry Dassault mais d’autres tours de table devront permettre à l’entreprise de développer sa technologie de fabrication française à base de matière recyclée et panneaux solaires ainsi que son réseau commercial pour les particuliers en France et à l’étranger.
Qista compte bien continuer de s’appuyer sur les talents de la recherche française. En décembre dernier, les deux chefs d’entreprise comptaient parmi les 21 lauréats "Territoires d’industrie" en PACA du Plan France Relance. Avant de connaitre l’année précédente la reconnaissance sur la place internationale en recevant au CES 2018 de Las Vegas 2 Innovations Awards dans les catégories Smart Cities et Tech for a Better World.
Le QISTA Lab, un laboratoire de biologie moléculaire que l'entreprise développe en interne Ces soutiens leur permettront de continuer à développer le Qista Lab, un laboratoire de biologie moléculaire en interne, pour pousser encore plus loin la recherche et la connaissance sur le risque de propagation du moustique et des maladies qu’il véhicule. Un champ d’exploration sans limite et d’importance puisque le moustique tue chaque année en transmettant la dengue, le chikungunya, le paludisme, la fièvre jaune ou encore le Zika. Assurément, Qista appartient à cette nouvelle génération de chefs d’entreprise française préoccupée par le changement climatique et la protection de la planète qui font rimer économie et écologie. De celle capable de montrer le chemin à suivre…
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